LETTRE OUVERTE aux membres du Gouvernement et de la Commission Développement Territorial du Parlement de la Région Bruxelloise.

Le nouveau projet de Règlement Régional d’Urbanisme (RRU), dénommé Good Living, est aujourd’hui sur la table du gouvernement bruxellois en vue de son adoption définitive avant la fin de la présente législature.

L’ensemble des associations, signataires de la présente lettre ouverte, demande instamment au Gouvernement de surseoir à cette décision.

Comme son nom l’indique clairement, le RRU est un instrument de nature règlementaire contenant des dispositions de portée générale, obligatoires et applicables sur l’ensemble du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.

La caractéristique essentielle du RRU doit rester sa nature règlementaire. Il ne s’agit pas d’un guide ou plan d’orientation. Il s’agit d’un corpus de règles qui doivent être comprises par les architectes, les administrations et, toutes les personnes ou institutions qui se proposent de faire exécuter des actes et travaux, soumis à l’obtention préalable d’un permis.

Le RRU est ainsi censé reprendre de manière précise l’ensemble des règles à respecter pour répondre aux objectifs fixés par la Région en matière d’aménagement du territoire.

Good Living

Le précédant Secrétaire d’État à l’Urbanisme avait fait rédiger un nouveau projet de RRU, dénommé Good Living, appelé à réglementer trois domaines : 1. Les Espaces Ouverts, 2. L’Urbanité, 3. L’Intérieur des Constructions.

Tout le monde s’accorde à dire que le RRU actuellement en vigueur est en effet devenu obsolète sur différents points et doit être revu afin de rencontrer l’objectif de créer une ville et des immeubles plus durables, plus verts, plus résilients au changement climatique et plus agréables à habiter, bref une ville plus accueillante pour l’ensemble de ses habitants, qui transcende leurs réalités sociologiques.

Les titres 1.Espaces Ouverts et 3.Intérieur des Constructions du projet Good Living établissent à cet égard des règles précises exprimées comme il se doit en termes quantifiables, même si ces titres suscitent également bon nombre de remarques.

Mais, pour ce qui concerne le titre 2. Urbanité, qui réglemente notamment l’intégration des nouvelles constructions au cadre bâti, leurs implantations et leurs gabarits, la particularité du projet de nouveau RRU, Good Living, est qu’il comporte un mélange d’objectifs, d’éléments, de critères d’évaluation et de règles tantôt très précises et tantôt laissées à la seule appréciation de l’autorité publique et de son administration. L’article 1 du titre 2 est particulièrement exemplatif dans la mesure où il fixe comme règle de droit…des objectifs !

Dans ce projet Good Living, la notion de « bon aménagement des lieux » est un paradigme qui est mis à toutes les sauces et qui se trouve devenir, pour des thématiques essentielles, le principal sinon le seul critère d’appréciation.

Pour des questions aussi importantes que la démolition, le nombre de niveaux et la hauteur des constructions isolées, la densité ou le nombre d’emplacements de parking, il ne s’agirait plus d’apprécier les projets urbanistiques en fonction de leur conformité à des règles bien établies (exprimées en termes quantifiables : nombre, mètres, pourcentages, etc.) mais en fonction d’une appréciation laissée à la discrétion des autorités au cas par cas, basée sur le seul concept de « bon aménagement des lieux ».

Le « bon aménagement des lieux » : une notion à contenu politiquement variable ?

A la lecture du texte, l’objectif du gouvernement est on ne peut plus clair : laisser à l’autorité le pouvoir du dernier mot par le biais du critère (?) du « bon aménagement des lieux ».

Cela découle implicitement mais nécessairement de l’article 2 du projet Good Living, qui dispose que « la conformité d’un projet au présent règlement ne préjuge pas de sa conformité au bon aménagement des lieux, appréciée par l’autorité compétente pour délivrer les permis …» (sic).

Les dispositions du règlement qui suivent cet article assurément fondamental (puisque placé en tête du règlement) peuvent donc être privées de tout effet utile au seul motif d’une contrariété à ce concept non autrement précisé de « bon aménagement des lieux ».

Or, dans un état de droit, les pouvoirs publics doivent exercer leurs fonctions selon les balises définies par un ensemble de normes juridiques, tandis que ces normes doivent évidemment permettre aux citoyens (à qui elles s’adressent) de prévoir les conséquences découlant de la soumission à la norme ou de sa violation.

Le « bon aménagement des lieux » n’est certes pas aisé à définir, mais ce bon aménagement ne découle-t-il pas du respect de l’ensemble des dispositions du règlement destiné précisément à l’organiser ?

La pratique actuelle démontre combien l’appréciation d’un concept aussi vague est difficile à objectiver et peut être différente et fluctuante entre les différentes personnes appelées à se prononcer sur une demande de permis tout au long de son processus de délivrance. Il n’est pas rare que pour un même projet différents fonctionnaires d’une même administration en aient des conceptions différentes voire opposées. Et il n’est pas rare non plus que communes et région s’opposent à ce sujet. Entre partis de la majorité au niveau du gouvernement il n’y a d’ailleurs pas de consensus sur ce qu’est une densité équilibrée!

Pour la plupart des acteurs de terrain (architectes, urbanistes, juristes, développeurs immobiliers, propriétaires privés et investisseurs, associations de défense de l’habitat pour tous et du patrimoine…), ce nouveau paradigme de Good Living sera source d’allongement encore plus intolérable de la procédure (déjà extraordinairement longue à Bruxelles), d’arbitraire et d’insécurité juridique ; le risque d’impacter négativement la qualité urbanistique de la région et la dynamique des projets immobiliers petits et grands, qu’ils soient publics ou privés est réel.

C’est un peu comme si les règles du football pouvaient s’effacer devant la seule appréciation de l’arbitre devenu ainsi l’autorité investie du droit de décider pour chaque match ce qui est permis ou non, ou comme un code de la route sans limitation de vitesse, celle-ci étant appréciée au cas par cas par le policier de service (en fonction du « bon déroulement » de la circulation ?).

La mission des concepteurs sera à l’évidence complexifiée. Architectes, bureaux d’études et avocats devront démontrer la conformité de leur projet au nouveau RRU en regard d’un texte réglementaire pour le moins flou sous de nombreux aspects essentiels, tels que la densité ou la hauteur. Et ils seront tout au long de la procédure à la merci de nouvelles exigences et d’ appréciations subjectives des autorités.

Le temps d’examen et d’analyse des projets au cas par cas par les autorités de déjà long qu’il est à l’heure actuelle, va tout simplement devenir interminable. Motiver deviendra sinon mission impossible, du moins une obligation particulièrement complexe pour les fonctionnaires, sachant que la question des recours sera ultimement tranchée par le Conseil d’État, qui devra s’astreindre à rechercher l’insuffisance de motivation ou l’erreur manifeste d’appréciation par les autorités. Les fonctionnaires seront donc en permanence mis en première ligne au front pour expliciter leurs décisions face au public et devant la juridiction administrative.

Une levée de bouclier générale pendant l’enquête publique

Le projet Good Living a été soumis à l’enquête publique fin 2022.

Concernant le nouveau paradigme du Titre 2. Urbanité, il a subi un rare feu nourri de critiques émanant de tous les acteurs de terrain sans exception.

Nos associations : le Quartier des Arts, l’ARAU, le Conseil francophone et germanophone de l’Ordre des Architectes, l’ARIB, Embuild Brussels; mais aussi l’UPSI, IEB, la FUB ainsi que la CRMS et les administrations communales, ont tous dénoncé le risque d’arbitraire que porte ce paradigme de Good Living ainsi que le démontrent les extraits de leurs lettres de réclamations repris en annexe.

Ces associations ont chacune, à leur manière, rappelé à la Secrétaire d’État qu’un RRU doit être un document réglementaire et non pas un guide ou un plan d’orientation et que la clarté des règles du RRU est fondamentale tant pour l’habitant, les professionnels de l’immobilier ou les administrations et les juridictions qui en vérifient l’application.

Le critère du bon aménagement des lieux ne devrait pouvoir être invoqué que de manière supplétive pour motiver une dérogation, accordée ou refusée par l’autorité́ compétente, à qui il appartiendrait d’évaluer de manière objective le degré́ d’acceptation et le caractère justifié, ainsi que sa compatibilité au regard de l’objectif poursuivi par la norme concernée. Autrement dit, le recours au bon aménagement des lieux devrait- dans la lecture d’un projet- venir après les règles contenues dans les titres 1,2 et 3 et uniquement au cas où des dérogations devraient être appréciées.

Mais les porteurs du projet Good Living ont décidé de ne rien entendre de ces réclamations et font le forcing pour faire adopter au forceps la réforme du RRU avant les élections.

Afin d’éviter qu’une nouvelle enquête publique ne reporte le processus au-delà des élections, le texte proposé en deuxième lecture au Gouvernement ne comprendrait que de très légères modifications par rapport au texte soumis à l’enquête publique de fin 2022.

Le texte remanié de Good Living, dont nous avons pu prendre connaissance, corrigerait ainsi certaines exigences environnementales du Titre 1- Espaces Ouverts et certains critères du Titre 3 – Intérieur des Constructions.

Mais le texte aujourd’hui sur la table ne répondrait en rien aux critiques et mises en garde, relatives au Titre II Urbanité, que tant les professionnels précités du secteur privé, que les représentants des secteur publics et associatifs avaient émises lors de l’enquête publique en pointant les risques d’arbitraire et d’insécurité juridique et toutes ses conséquences dommageables pour la Région.

Il semble de plus que le parcours du texte ne passerait pas par l’avis de la section législative du Conseil d’État, ce qui risque encore d’affaiblir la sécurité juridique du texte qu’il doit assurer !

À la lecture des différents chapitres du texte Good Living, l’expérience partagée par les signataires fait, de plus, craindre une élévation substantielle du prix du logement, calibré suivant des standards qui échappent à la réalité qui entrainerait un frein à la production de nouveaux logements ainsi qu’à la rénovation du bâti existant.

Pour ces raisons, nous demandons au Gouvernement de surseoir à la validation du texte pour assurer toute la force des principes qu’il expose et préciser des règles claires pour le futur de la Région Bruxelloise.

ASSOCIATIONS SIGNATAIRES ET PERSONNES DE CONTACT

Quartier des ArtsAlain De Coster
Atelier de Recherche et d’Action Urbaine (ARAU)Marion Alecian
Architects in Brussels (ARIB) Luc Deleuze
Conseil francophone et germanophone de l’Ordre des Architectes (Cfg-OA)Francis Metzger
Embuild Brussels (The Belgian Construction Association) Laurent Schiltz

Annexe : Extraits des réclamations des différentes associations lors de l’enquête publique

Extraits des réclamations des différentes associations lors de l’enquête publique

  • Le manque de fondements objectivables pour motiver sérieusement les autorisations à venir laisse perplexe. Dans son état actuel, le projet Good Living est source d’arbitraire et d’iniquités et ne semble pas de nature à diminuer la longueur et l’insécurité juridique du processus d’autorisation, bien au contraire. Il n’y a aucun guide-line pour objectiver l’appréciation de ces critères trop larges et trop peu précis. A titre exemple, la hauteur admissible de nouvelles constructions devra, selon Good Living, découler de l’appréciation par les autorités du concept vague de « l’unité typo-morphologique et de la scénographie urbaine ». Nul doute que l’exercice sera alambiqué et qu’il alimentera des débats sans fin. (Le Quartier des Arts)
  • Nous estimons que le risque d’arbitraire est beaucoup trop important pour les articles essentiels du Titre II (démolition – densité – hauteur…). Le RRU devrait se limiter aux éléments réellement vérifiables dans le dossier de demande de permis et dans les plans à l’étape de l’instruction des permis. (Fédération Bruxelloise d’Urbanisme)
  • Le projet recourt abondamment à des termes imprécis, non définis et subjectifs (« harmonie », « équilibre », «qualité architecturale », « densité de qualité », « qualité des perspectives » etc.). Ceci introduit un flou dommageable, une insécurité juridique, tant pour les demandeurs de permis (particuliers, promoteurs, responsables de voiries, etc.), qui doivent savoir ce qui est autorisé ou non, que pour les autorités compétentes qui doivent garantir l’égalité de traitement. Cette appréciation subjective alourdira la tâche des fonctionnaires communaux avec un risque d’arbitraire et d’augmentation des recours liée à l’insécurité juridique ainsi créée. Le projet nécessitera encore d’avantage de moyens, de formation, de coordination alors que tous ces aspects sont déjà défaillants à l’heure actuelle. (Inter Environnement Bruxelles (IEB))
  • Les rédacteurs semblent avoir oublié que le RRU doit édicter des règles et non des objectifs qui doivent précisément être atteints grâce à des règles. Chacun aura sa propre interprétation des articles de Good Living et chaque autorité délivrante appréhendera Good Living de façon personnelle. Dans son état actuel, le texte de réforme sʼannonce comme un nid à procès. Le projet de texte livre les demandes de permis à lʼarbitraire quasi absolu des autorités délivrantes. (Ordre francophone et germanophone des Architectes)
  • À la lecture de chaque article du règlement et avant le traitement du dossier par l’administration : le porteur de projet devrait pouvoir déduire si son projet est, oui ou non, en dérogation au RRU. Or, il y a dans le projet Good Living, un pouvoir d’appréciation de la règle qui est laissé à l’administration qui, s’il est dévoyé de son intention première, pourrait mener à d’interminables débats entre le demandeur et les autorités administratives dans la conception des bâtiments. L’expérience montre malheureusement que la transparence, l’objectivité et la cohérence des décisions de l’administration ne peuvent être garanties quand il s’agit d’apprécier ce qu’est « le bon aménagement des lieux » notamment sur des sujets comme la densité, qui a un grand impact sur l’équilibre économique des projets. Ce nouveau principe se traduit ainsi directement en un niveau supplémentaire d’incertitude juridique qui, compte tenu de ses conséquences en terme de risque financier, aura un impact sur la faisabilité même des nouveaux projets et plus largement sur l’intérêt de la région pour les investisseurs. (Union Professionnel du Secteur de l’immobilier (UPSI))
  • Le projet Good Living élargit considérablement les outils qui permettent à l’autorité délivrante de mettre en question la conception d’un projet, voire de s’immiscer dans ce processus de conception, pourtant réservé aux architectes . Les généralités, imprécisions, facteurs d’appréciation arbitraires ou vœux pieux qu’énonce Good Living seront une source de divergences de vue entre auteurs de projets et autorités délivrantes et une source légale infinie pour la motivation de refus de permis d’urbanisme. Conseiller utilement le maître de l’ouvrage, dans ces conditions, devient impossible. Good Living confie à l’autorité délivrante la prérogative d’interpréter le texte ; mais l’exercice équilibré et équitable de ce pouvoir repose principalement sur la bonne foi. A cette incertitude il faut conjuguer la multitude d’autorités délivrantes et d’instances d’avis et de recours, chacune pouvant forger sa propre interprétation des dispositions du règlement en fonction de la politique particulière qu’elle entend mener. (Architects in Brussels (ARIB))
  • Sous couvert de « simplification », Good Living entrainerait, dans les faits, une dérégulation : de règles contraignantes et objectives (exprimées en termes quantifiables) on passerait à un régime où le « pouvoir d’appréciation » deviendrait pratiquement la seule référence. Au lieu d’édicter des règles précises et compréhensibles, le texte du RRU se contente d’évoquer une série de critères flous, non définis et subjectifs (« harmonie », « équilibre », « contexte pertinent »…) sans qu’aucun indicateur précis ne soit établi par ailleurs pour mesurer leur effectivité. On retrouve certes en marge du texte légal des « explications » (qui n’ont donc pas de valeur réglementaire) pour interpréter ces critères ; ces explications renvoient bien souvent à d’autres documents sans valeur réglementaire non plus (vade-mecum, guides, plans stratégiques…), dont certains s’élaborent par ailleurs en-dehors de tout processus démocratique. (Atelier de Recherche et d’Action Urbaine (ARAU))

D’autres commissions, experts et représentants des administrations régionales et communales, ainsi que de nombreux juristes abondent dans ce sens :

  • Le texte complexifie pour les administrations communales, déjà débordées, l’analyse des demandes de permis au regard du principe de bon aménagement des lieux. Ces dispositions laissent plus de place à la dimension subjective, pouvant introduire des traitements de permis différents en fonction de la sensibilité urbanistique de l’une ou l’autre administration (Stratec, le bureau chargé du rapport d’incidence de Good Living)
  • La CRMS craint que cette approche, « rendant possible tout ce qui est et tout ce qui sera souhaitable » manque de balises claires pour apprécier les projets avec le risque de conduire à des évaluations et appréciations très diverses. (Commission Royale des Monuments et Sites)
  • Il y aura une subjectivité plus importante dans l’analyse des dossiers et un risque plus grand d’arbitraire ou, au minimum, une moins grande sécurité juridique pour les demandeurs. Les revendications des administrations communales vont dans le sens inverse du projet Good Living, en réclamant que tous les paramètres puissent être réglés par la réglementation, l’objectif étant de vérifier plus facilement la conformité d’un dossier. (Les Administrations Communales)

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